Le Soudan est une nouvelle victime des tiraillements géostratégiques dans la région du Nil. La pression internationale doit s’exercer pour en finir avec ce conflit sans vainqueur.
La question soudanaise ou plutôt le drame d’un pays géographiquement stratégique corrobore l’idée que la tyrannie de l’extérieur peut détruire en quelques semaines un État, déplacer des populations, causer toutes sortes d’exactions, de massacres, de viols et entraîner la vindicte populaire ainsi que des drames humains insupportables telle la famine répandue cruellement auprès de millions de réfugiés. La guerre civile dure depuis deux ans dans une sorte d’indifférence éhontée ; elle doit pourtant nous interpeller d’urgence.
Les combats entre l’armée soudanaise et la Force Rapide ont causé la mort de plus de 150 000 personnes et déclenché la plus grande crise de déplacement et de faim au monde. Quelque 12 millions de personnes ont fui leur foyer et 30 millions ont besoin d’aide humanitaire, alors que l’économie soudanaise est en ruine et que toutes les villes sont dévastées.
Le continent africain a besoin d’une longue trêve de paix et de sérénité afin de pouvoir surmonter les épreuves du sous-développement.
Cette guerre civile meurtrière où les deux belligérants ne parviennent pas à avoir le dernier mot doit être arrêtée immédiatement. Le temps est venu pour que la communauté internationale assume pleinement ses responsabilités et fasse taire les armes. Pour y parvenir il faut que des conditions minimales soient réunies.
Tout d’abord, les Nations unies, l’Union africaine et l’Union européenne doivent reprendre la main, c’est-à-dire agir en tant que force de paix neutre contrairement aux acteurs que l’on voit aujourd’hui agir, mal déguisés attisant le feu sur le terrain.
Selon le Washington Post et différents rapports européens, l’armée soudanaise a bénéficié du soutien de la Turquie et de l’Iran. Une série de documents et de communications obtenus par le quotidien américain révèle comment une entreprise turque a secrètement fait passer des armes à l’armée soudanaise. Une cargaison secrète de drones et de missiles turcs aurait été livrée à l’armée soudanaise en septembre et ce trafic continue jusqu’à nos jours.
La Coordination générale pour les personnes déplacées et les réfugiés au Darfour, un organisme civil, soupçonne fortement que des avions militaires soudanais ont utilisé des armes chimiques lors de raids lancés sur plusieurs zones de la région au cours des derniers jours.
Le rôle des Nations unies
Très récemment, une coalition internationale des droits de l’homme a appelé à une action urgente pour protéger les civils au Soudan et mettre fin aux violations, aux abus et aux crimes de guerre commis par l’armée et ses alliés extrémistes.

De son côté le secrétaire d’État américain Marco Rubio, déclarait que les forces armées soudanaises, dirigées par Burhan, ont commis des crimes de guerre documentés, notamment en ciblant des civils et des infrastructures civiles, et en procédant à des exécutions sommaires. En janvier, les États-Unis ont imposé des sanctions au commandant des forces armées soudanaises Abdel Fattah al-Burhan, ainsi qu’à une entreprise et à un individu impliqué dans l’achat d’armes, dans une démarche qu’il a décrite comme visant à tenir responsables les personnes impliquées dans les crimes et les violations commis pendant le conflit soudanais.
Les Nations unies, fortes du soutien africain et européen, représentent un acteur fiable en mesure d’instaurer une paix inclusive et durable dans ce pays meurtri. Les convoitises internationales d’acteurs aux différentes intentions larvées et déclarées doivent céder la place à un travail multidimensionnel et profond afin de pouvoir renouer le dialogue entre les frères ennemis.
Les actions à envisager se résument, par ordre de priorité :
Premièrement, secourir et venir en aide aux personnes en détresse qui font face à une famine meurtrière. Les autorités de facto (l’armée) n’entravent pas l’arrivée de l’aide et ne l’utilisent pas comme une arme de famine contre certaines composantes soudanaises.
Deuxièmement, déployer des forces armées internationales neutres sur les frontières du Soudan afin de contrôler, d’intercepter et d’empêcher l’approvisionnement des belligérants en armes.
Troisièmement, entrer en négociations pour parvenir à un cessez-le-feu dans les meilleurs délais.
Prendre conscience des enjeux
Quatrièmement, les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU doivent exercer des pressions sur les parties étrangères impliquées dans ce conflit pour cesser leur interventionnisme. Certes il y a de nombreux conflits et foyers de tension dans le monde mais la guerre civile au Soudan requiert une priorité absolue car elle comporte un risque non négligeable d’internationalisation et de contagion pouvant déstabiliser les pays voisins du Soudan dont quelques-uns lui ressemblent en matière de fragilité et partagent avec lui la faiblesse des institutions étatiques.
Je suis convaincu comme beaucoup de personnes éprises de justice qu’il est urgent de trouver une solution pacifique à cette horrifiante guerre dont le bilan en pertes humaines, de morts et de blessés, ne cesse de s’alourdir. Faut-il le dire haut et fort : aucune des deux parties en conflit n’est capable de sortir victorieuse de cette guerre civile souvent télécommandée de l’extérieur.
Gagner une bataille ne signifie pas gagner la guerre. Elle ne signifie non plus gagner la paix. Se mettre à la table des négociations pour construire une paix des braves n’est aucunement le signe de la déroute ou de la défaite. Bien au contraire, cette courageuse décision dénote une véritable prise de conscience des enjeux et du danger de morcellement qui plane sur le Soudan.
Le continent, très riche en matières premières, n’a pas cessé de payer le prix fort des tentatives pour les approprier de bon gré ou malgré la volonté des Africains dépossédés de leurs richesses. Il a besoin d’une longue trêve de paix et de sérénité afin de pouvoir surmonter les épreuves du sous-développement. Faisons en sorte que l’Afrique ne se fasse plus connaître par le nombre de ses foyers de tension mais plutôt par sa contribution à l’effort mondial pour l’établissement de la paix et de la sécurité.

Mongi Hamdi est ancien sous-secrétaire général des Nations unies et ancien Envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies au Mali.